• Ici, là-bas et Lisboa
    Joao Viera Torres

Ici, là-bas, Lisboa-Panorama 14

  • DESCRIPTION

    Cela tient, dans une certaine mesure, davantage que du déterminisme étriqué de l'art technologique, du film scientifique à l'exclusion de tout caractère documentaire mais avec la beauté qui n'en est pas moins propre à l'image scientifique comme dans le cas des films de Painlevé, proches qu'étaient ceux-ci, que l'on ne saurait réduire au documentaire animalier, à la fois d'Artaud et de Bataille. Sortes de fictions scientifiques mettant en fictions la science, prenant leur parti des modifications induites par l'observation et l'observateur. Du leurre que s'avère être la quête de l'objectivité. Conscients des perturbations apportées dans son milieu naturel de vie par l'acte de filmer l'animal – modifications notamment de lumière et de chaleur – et donnant à voir à leur façon non tant un réel qu'un surréel. Ou, tout comme il est d'usage, depuis Evans, de distinguer entre document et style documentaire ici, non pas tant film scientifique que « style scientifique » sinon esthétique se voulant scientifique. Nul rejet pour autant des outils technologiques mais détournement. Non tant de ce qui se trouve exhibé que du processus utilisé, de l'outil utilisé, la caméra thermique, dévoyée de ses utilisations canoniques, si diversifiées fussent-elles déjà. Ce à l'encontre des installations de Nauman Mapping the Studio I et II où celui-ci a cherché à retrouver l'usuelle fonction de surveillance de la caméra infrarouge. Cartographie, ici, non de l'atelier de l'artiste mais d'un corps. D'un corps qui ne s'en trouve pas moins comme paysagéifié en même temps que thermographié et dispersé. Là où la cartographie est habituellement opérateur de territorialisation, cartographie, ici, comme opérateur de paysagéification, avec la déterritorialisation que cela implique. Sous l'effet conjugué de la caméra thermique et de la source ou, plutôt, des bouffées de chaleur, sous l'action du souffle de chaleur, l'image thermique latente se trouve comme « révélée », le « contenu latent », le « paysage latent » se trouvent comme révélés, comme venant eux-mêmes à la vie ; la « texture » de la peau, avec son grain propre ses ondulations ses aspérités ses pores ses vides et ses pleins ses plis et ses replis ses « reliefs » sa pilosité, se mue en autant de vallonnements de monticules de cratères et de végétaux. Corps-paysage modelé modulé par les fulgurances de chaleur et de lumière dans l'annihilation de toute échelle bien que, comme chez Painlevé, les prises de vues soient en fait très rapprochées. Si, comme le présume Saussier [1], un  paysage peut se trouver comme transposé à l'état de traces dans la chair de ses habitants, y a-t-il vraiment utopie à prétendre, à partir du portrait de l'un de ses habitants, faire le portrait d'une ville, ici Lisbonne ?

    Cf. Sylvain MARESCA, « Le Document est une forme », Gilles SAUSSIER, Living in the Fringe, Paris, Figura, 1998.